24/07/2017 – Loi de moralisation : un écran de fumée
L’ancien politique, qui dénonce dans ses livres les mauvais comportements de ses anciens collègues, n’est pas tendre avec le projet de loi. Propos recueillis par Hugo Domenach
Modifié le 24/07/2017 à 08:50 – Publié le 24/07/2017 à 08:30 | Le Point.fr
Ancien patron du Parti radical de gauche (PRG), ancien conseiller régional de l’Essonne, ex-adjoint de Manuel Valls à la mairie d’Évry, Philippe Pascot a, depuis longtemps, raccroché le costume-cravate. Chapeau melon vissé sur la tête, il s’acharne aujourd’hui à dénoncer les mauvais comportements légaux ou illégaux de ses anciens collègues. Il a notamment écrit un best-seller : Pilleurs d’État (tomes 1 et 2). Ainsi qu’un bottin mondain en trois tomes des politiques condamnés ou mis en examen : Délit d’élus (2014) et Du goudron et des plumes (2016).
Des livres « élaborés avec les moyens du bord, à partir de faits avérés, jugés ou en passe de l’être et relayés par les médias ». Pour Le Point.fr, il passe au crible le projet de loi sur le « rétablissement de la confiance en l’action publique ». Il explique pourquoi cette loi est, selon lui, « un attrape-nigaud ».
Le Point.fr : La loi de moralisation de la vie publique remplit-elle ses objectifs : réguler et moraliser la vie politique ?
Philippe Pascot : C’est une loi de moralisation bidon, un écran de fumée. Les mesures ne vont pas jusqu’au bout, il n’y a que des mesurettes. Cette loi de « régulation », « moralisation », « confiance », est un attrape-nigaud, un coup de peinture sur un mur moisi pour faire croire que la pièce est neuve. Mais le moisi ne va pas tarder à ressortir et le mur sera encore plus sale.
Pourquoi parlez-vous de « mesurettes » ?
La fin de la présence d’anciens présidents au Conseil constitutionnel en est une. Certes, cette mesure fera économiser deux millions d’euros par an, mais elle concerne seulement un président tous les cinq ans. Il y a aussi celle qui interdit à un ministre d’être maire. Mais elle ne concerne que dix personnes tous les quatre ans. Peut-être cinquante personnes sur un quinquennat avec deux remaniements. Cette loi comporte des mesures qui concernent une poignée de personnes qui de toute manière les contournent. Il faudrait surtout donner plus de moyens à la justice et supprimer « le verrou de Bercy » (expression qui désigne, en France, le monopole du ministre du Budget sur les décisions de poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale, NDLR), qui est une aberration. Il permet à des fraudeurs fiscaux de haut rang de ne pas être poursuivis au pénal s’ils sont d’accord pour payer une amende. Le Sénat l’avait supprimé dans un amendement, mais les députés viennent de le remettre.
Que pensez-vous de la suppression de la Cour de justice de la République ?
Sur le papier, c’est une bonne mesure, car cette Cour permettait aux politiciens de se juger eux-mêmes, de rester dans l’entre-soi. C’est une institution totalement obsolète. Mais sa suppression pure et simple va enterrer l’affaire Karachi, notamment, qui était sur le point d’y être jugée. Édouard Balladur a été mis en examen le 29 mai 2017, François Léotard vient de l’être, Brice Hortefeux allait sans doute suivre aussi, tout comme Nicolas Sarkozy. La suppression de la Cour de justice de la République devrait s’accompagner du transfert des mises en examen directement et immédiatement au pénal. Mais bizarrement, ce n’est pas prévu…
Êtes-vous satisfait de la limitation des mandats identiques à trois maximum ?
Non, parce qu’avec trois mandats successifs, tu peux être élu à vie : deux fois député, puis maire, puis député. Jean-Christophe Lagarde a très bien compris le système puisqu’il a mis sa femme à la mairie de Drancy. Ce n’est pas de la moralisation, mais de l’arrangement entre amis. En plus, les politiciens ne respectent pas ce qu’ils veulent mettre en place : Manuel Valls a fait plus de trois mandats successifs. Gérard Collomb à Lyon aussi.
Êtes-vous satisfait par la suppression des emplois familiaux, étendue par le Sénat aux élus locaux ?
Non. Encore une fois, on fait dans la demi-mesure car on laisse la porte ouverte aux emplois fictifs de toutes les maîtresses et tous les amants. Quid des gens pacsés ? Il y a aussi une autre solution pour faire travailler les enfants : le député A va embaucher le fils du député B et le député B, le fils du député A, comme le fait le FN au Parlement européen. En fait, ils ont pris les choses par le petit bout de la lorgnette. Le vrai courage aurait été de travailler sur le statut du collaborateur parlementaire : créer un intitulé avec un profil qui correspond. Pourquoi quelqu’un qui a raté son CAP de coiffure peut-il devenir assistant parlementaire ?
Que manque-t-il d’autre à cette réforme ?
Ce qu’il fallait vraiment supprimer, c’est la possibilité pour un parlementaire d’exercer le métier d’avocat. C’est une profession qui permet de recevoir des honoraires sans être obligé de déclarer le nom de celui qui fait le chèque. Ils sont couverts par le secret professionnel, donc cela facilite la corruption des élus. Mais cela n’a pas été supprimé.
Il n’y a donc rien de bien dans cette loi ?
La suppression de la réserve parlementaire, ça, c’était important. Mais ils sont en train de faire marche arrière. Ils se rendent bien compte que beaucoup d’associations vivent grâce à ça.
Vous avez initié une pétition pour imposer un casier judiciaire vierge aux élus. L’Assemblée nationale a voté la loi mais le Sénat la
rejette…
Les élus du Sénat disent que la loi sur le casier vierge est anticonstitutionnelle. C’est un mensonge. Elle avait été envoyée pour consultation au Conseil constitutionnel, qui nous a assuré qu’il n’y avait pas de problème. Ils ne veulent pas du casier vierge pour les élus mais l’exigent pour 396 métiers que j’ai référencés dans mes livres. Il en faut un pour travailler dans une mairie, mais pas pour la diriger… Dans la loi votée le 1er février 2017, à l’unanimité de tous les groupes politiques, nous avions visé les délits sexuels, ceux touchant la probité, et les fraudes électorales et fiscales. Aujourd’hui, les délits sexuels sont évacués du texte (seul un amendement sur le harcèlement a été adopté au Sénat, contre l’avis de la garde des Sceaux).
Que pensez-vous de l’instauration de notes de frais pour les parlementaires ?
N’importe quel salarié doit justifier ses notes de frais : un patron de PME doit fournir sa note de restaurant (et parfois même le nom des personnes invitées…). Un fonctionnaire doit joindre son ticket de bus à sa demande de remboursement. En quoi est-ce gênant qu’un élu de la République justifie ses dépenses ? Quelle excuse, comme celles évoquées par le député LREM Alain Tourret, qui ne veut pas manger chez Mc Donald’s, les parlementaires vont-ils encore invoquer ? Vont-ils encore nous dire que pour eux, ce n’est pas pareil que pour « le bas peuple » ?