28/07/2017 – L’emprise tyrannique de Sogyal
Le bouddhisme, comme toutes les autres religions, compte son lot d’usurpateurs. Et comme dans les autres religions, le scandale vient tout autant des abus eux-mêmes que de l’impunité dont ils font l’objet.
VIOLENCES, ABUS SEXUELS •••
LE BOUDDHISME : JUSTE UNE RELIGION COMME LES AUTRES
Huit des plus proches étudiants du lama tibétain Sogyal Rinpoché dénoncent ses « abus physiques, émotionnels et sexuels », ainsi que son mode de vie « extravagant, avide et sybarite ». Un document qui confirme l’emprise tyrannique d’un guide spirituel qui agit en toute impunité.
Sogyal Rinpoché prétend vouloir « amener les enseignements du bouddhisme aux Occidentaux». Mais conduit surtout beaucoup d’entre eux à la dépression nerveuse. Mondialement connu grâce à son Livre tibétain de la vie et de la mort, ce lama de 70 ans est maître du centre de retraites Lerab Ling, situé dans l’Hérault, à une heure de route de Montpellier. En 2008, le lieu avait été inauguré en grande pompe en présence du dalaï-lama, mais aussi de Carla Bruni-Sarkozy, Alain Juppé ou encore Bernard Kouchner. Tout ce beau monde connaissait-il les étranges méthodes employées par le tibétain pour que ses disciples accèdent à l’éveil ? En 2011, Marianne révélait en effet que le maître aime s’entourer de jeunes et jolies femmes dont il abuse sexuellement, qui dorment au pied de son lit et sont frappées lorsqu’elles n’obéissent pas à ses ordres. Le lama avait alors embauché une agence de communication de crise pour passer la tempête. 2016, nouveau coup de tonnerre : l’anthropologue Marion Dapsance publiait un livre enquête accablant sur Sogyal Rinpoché, et le directeur de Rigpa France, Olivier Raurich, quittait l’organisation. Confirmant dans les colonnes de Marianne toutes les informations publiées cinq ans plus tôt par notre journal, celui qui était aussi le traducteur personnel du gourou ajoutait des détails sur son mode de vie fastueux, à rebours de ce qu’il professe pour les autres. Mais le tyran n’avait toujours pas été inquiété. Aujourd’hui, ce sont des étudiants, moines et nonnes bouddhistes pour certains d’entre eux, qui ont décidé de sortir du silence. Le 14 juillet dernier, huit de ses plus proches disciples ont adressé une lettre à Sogyal Rinpoché lui même, ainsi qu’à 1500 étudiants de la congrégation Rigpa. Sur 10 pages, ils détaillent froidement des conduites dont ils ont eu eux-mêmes une «expérience personnelle directe». Des coups ayant causé « des blessures sanglantes et des cicatrices permanentes » pour « un repas pas assez chaud» ou une connexion Internet trop lente. La menace de graves périls, comme la mort d’un proche, en cas de désobéissance. Une disponibilité jour et nuit s’apparentant à de l’esclavage et, bien sûr, du harcèlement sexuel. «On nous a intimé de nous dénuder, de nous montrer nos parties génitales (hommes et femmes), de vous faire une fellation, de nous faire manipuler sexuellement, de vous donner des photos de nos parties génitales, de faire l’amour avec notre partenaire dans votre lit, et de vous décrire nos relations sexuelles avec notre partenaire. Vous avez donné l’ordre à vos étudiants de photographier vos assistants et vos maîtresses nues, et forcé d’autres étudiants à en faire à votre intention des collages pornographiques que vous avez montré à d’autres », égrènent les signataires. Comme Olivier Raurich, les disciples insistent aussi sur le train de vie fastueux du gourou, rappelant qu’« une grande partie de l ‘argent utilisé pour satisfaire [ses] appétits pour le luxe vient des dons de [ses] étudiants ». «En tant que vos assistants, chauffeurs et organisateurs, la majeure partie de notre temps et de notre énergie est utilisée pour vous fournir une source constante de plaisirs sensuels. Vous exigez que toutes sortes de nourritures vous soient préparées, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, par vos cuisiniers personnels et leurs assistants (payés par Rigpa), qui voyagent dans le monde entier avec vous. Vous exigez toutes sortes de distractions, dont par exemple: un guide TV détaillé des programmes des shows télévisés que vous regardez souvent pendant des heures à la fin de chaque journée; des listes élaborées de films afin que vous sachiez exactement ce qui se joue dans les cinémas alentour à n’importe quel moment; des plats continuellement à votre disposition provenant de restaurants take-away; des conducteurs et des masseuses disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour vous servir, vous emmener, vous et votre entourage, au cinéma, dans des restaurants coûteux, des centres commerciaux et des lieux particuliers où vous pouvez fumer vos coûteux cigares. »
CONDUITES ABUSIVES
Ainsi donc le bouddhisme, comme toutes les autres religions, compte son lot d’usurpateurs. Et comme dans les autres religions, le scandale vient tout autant des abus eux-mêmes que de l’impunité dont ils font l’objet. Car, malgré la gravité de ce qu’ils dénoncent, aucun des signataires n’a porté plainte … Ils étaient même plutôt réticents à l’idée que la missive fasse l’objet d’articles dans la presse. En off, l’un d’entre eux nous explique qu’« il ne veut surtout pas nuire au bouddhisme tibétain dans son ensemble», mais qu’il espère que ceux qui le souhaitent soient« encouragés » par cette lettre à poursuivre Sogyal Rinpoché en justice. Une Américaine, Janice Doe, avait bien tenté de le faire… en 1994 : l’affaire s’est conclue par une transaction financière. «Il y a du syndrome de Stockholm là-dedans», analyse Olivier Raurich, contacté par Marianne. Depuis une semaine, l’ex-traducteur du maître organise des groupes de soutien psychologique pour les dizaines de disciples désemparés. « C’est difficile de se rendre compte quand on est extérieur à tout ça, mais ces gens ont dévoué toute leur vie à Rigpa, l’emprise est très forte… C’est très dur. » D’autant plus dur que les plus hautes instances du bouddhisme tibétain n’ont jamais publiquement désavoué SogyalRinpoché, dont ils connaissent pourtant parfaitement les agissements. En 1993, le dalaï-lama a incité les élèves à dénoncer « les maîtres bouddhistes qui abusent du sexe, du pouvoir, de l’alcool ou de la drogue», mais sans jamais citer quiconque nominalement. Joint par Marianne, le représentant du dalaï-lama en France, Tashi Phuntsok, a préféré nous raccrocher au nez. Matthieu Ricard, le traducteur français de sa Sainteté, n’a, quant à lui, jamais répondu à nos sollicitations. Habitué des têtes de gondole en librairie, coauteur de Trois amis en quête de sagesse, le plus fameux des moines bouddhistes français a pourtant lui aussi grandement contribué à asseoir l’autorité du gourou fantoche en inaugurant son temple dans l’Hérault. Selon les interlocuteurs à qui nous nous sommes adressés, Matthieu Ricard était, au choix, «au fond du Népal, sans accès à Internet» ou «prévenu » de notre requête, mais «à la veille d’un voyage au Tibet». Où qu’il soit, le prophète de la bienveillance ne semble guère pressé de se ranger du côté des victimes de Sogyal Rinpoché. Il est vrai que son organisation figure sur la liste des généreux donateurs de l’association de Matthieu Ricard… « Il a su se rendre indispensable en gagnant beaucoup d’argent et en donnant à tout le monde, se désole Olivier Raurich. Et ce qu’ils craignent aussi, c’est que les langues ne se délient, et que d’autres ne tombent à leur tour pour les mêmes conduites abusives. » Devant le scandale qui menace, Sogyal Rinpoché annonce son intention de « commencer une retraite au plus vite». «Je sens que c’est le bon moment pour le faire», a déclaré le maître de Lerab Ling dans un courrier à ses ouailles. A moins que la justice ne se décide enfin à ouvrir une enquête.
Par Élodie Emery – MARIANNE